Sierra Leone : les oubliées des élections présidentielles et législatives

Analyse © ACP asbl

À l’heure actuelle, les femmes sierra-léonaises comptent parmi les plus marginalisées au monde que ce soit au niveau politique, économique ou social. Torturées, maltraitées et violées durant la sanglante guerre civile qui a ravagé la Sierra Leone, les femmes et les jeunes filles de tout âge continuent d’être les victimes quotidiennes de graves violences sexuelles et ce, plus de 10 ans après la fin officielle du conflit. En pleine période de réconciliation et de reconstruction du pays, de pareilles inégalités et discriminations basées sur le genre démontrent la non-intégration des femmes dans le processus d’établissement et de maintien de la paix au Sierra Leone. En tant que moitié de la population civile, elles y jouent pourtant un rôle très important. Prévues pour le 17 novembre prochain, les nouvelles élections présidentielles et législatives présentent ainsi l’espoir d’un changement vers une réelle reconstruction post-conflit, intégrant enfin pleinement les femmes aux processus d’établissement et de maintien de la paix au Sierra Leone…

I – Des années d’instabilité politique

Fondé en 1789 par les britanniques en tant que Terre de liberté pour les esclaves africains ayant servi l’Angleterre, ce petit pays d’Afrique occidentale acquit son indépendance en 1961. À cette époque, les institutions politiques, administratives, judiciaires et autres organes du pays fonctionnaient relativement bien et le nouvel Etat souverain semblait promis à un bel avenir. Mais l’euphorie qui avait accueilli la naissance d’une nouvelle nation, avec son lot d’espoirs et d’attentes, tourna rapidement à la déception et la rébellion.
Basculant ainsi entre coups d’Etat et régimes militaires, la Sierra Leone connut une longue période d’instabilité politique exacerbée par la persistance de la mauvaise gouvernance, pourtant à l’origine des premières révoltes. Sous le règne du parti politique APC (1968-1991), les avantages acquis lors des premières années d’indépendance ont ainsi été ruinés par la gouvernance menée. Citons la corruption généralisée, la dominance des injustices sociales, la profonde insécurité, la gestion économique irresponsable qui a provoqué un pillage aveugle des ressources du pays et le déclin de l’économie nationale, ou encore la tendance dictatoriale qui usait de la violence comme instrument de concurrence politique .

Une longue et pénible période d’instabilité politique, économique et sociale qui ne s’achèvera qu’au bout d’une quarantaine d’années, se terminant par onze ans de violent conflit interne (1991-2002). Ravageant la Sierra Leone, ce conflit fut d’ailleurs reconnu comme l’une des plus sanglantes et monstrueuses guerres civiles que l’Afrique subsaharienne ait connues. Animée par la quête d’un contrôle sur le commerce fructueux des diamants et exacerbée par les rivalités ethniques du pays, la guerre civile sierra-léonaise portera à jamais l’image de milliers de morts (près de 120.000), de milliers de femmes et de jeunes filles de tout âge kidnappées, violées et utilisées comme esclaves sexuels, de milliers d’enfants soldats recrutés de force, de milliers de civils innocents torturés, mutilés et amputés, de centaines de villages entièrement rasés et de millions de personnes massivement déplacées (près de 2,5 millions) à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Autant d’atrocités qui entraîneront le pays dans l’effondrement.

II – Les femmes, victimes particulières d’une sanglante guerre civile

Durant onze longues années, la guerre civile a ainsi ravagé la Sierra Leone. Au-delà des coûts matériels et des importantes pertes économiques, le violent conflit interne a également entraîné la destruction du tissu social du pays, causant des ravages sans nom dans tous les segments de la société sierra-léonaise. Cibles privilégiées des rebelles, les femmes ont été plus particulièrement touchées par la douleur et la misère de la guerre. Souffrant non seulement des maux qui ont affecté l’ensemble de la population civile, elles ont également été les victimes systématiques de violences sexuelles utilisées par les groupes rebelles comme une arme de guerre à part entière ayant pour but de détruire, terroriser et humilier les communautés.  De 1991 à 2002, on estime ainsi qu’un tiers des femmes et des jeunes filles de tout âge (soit plus de 250.000) ont été victimes de violences sexuelles délibérées telles que le viol et l’esclavage sexuel, dont la prostitution et la grossesse forcées . Physiquement blessées et psychologiquement traumatisées, souvent contaminées par le VIH, ces femmes et jeunes filles qui ont été les victimes de sévices sexuels, et continuent de l’être, en subissent également les conséquences sociologiques.

Les abus sexuels au Sierre Leone ont connu un accroissement épouvantable durant la guerre civile et ont persisté depuis la fin officielle du conflit (18 juin 2002) pour finalement se généraliser dans l’ensemble du pays. « Juste après la guerre, lorsque les premiers Centres Rainbow  ont commencé à travailler, nous offrions des consultations médicales et psychologiques aux femmes qui avaient été maltraitées pendant la guerre et depuis ce temps, nous n’avons pas arrêté de recevoir de nouveaux cas », disait Hannah Kargbo en 2008, infirmière dans l’un des quatre Centres du pays. « Certains auteurs de violence étaient des enfants pendant la guerre ; à l’époque, ils ont été exposés aux viols et autres violences sexuelles et depuis, ils continuent de le faire » poursuivait-elle . L’une des principales causes de cette situation de post-conflit réside dans l’attitude passive des autorités sierra-léonaises qui, dès la fin officielle du conflit, n’ont pas tout mis en œuvre pour permettre aux victimes des violences sexuelles commises durant la guerre civile d’obtenir justice et réparation effectives. Au contraire, les autorités ont laissé l’impunité à l’égard des auteurs s’imposer sur l’ensemble du territoire. Une attitude qui traduit une forme d’acceptation des abus sexuels commis à l’encontre des femmes et des jeunes filles et qui a ainsi également favorisé leur généralisation et leur normalisation au sein de la société sierra-léonaise, tout en entraînant un recul significatif dans la lutte pour les droits de la femme au Sierra Leone. La situation est d’ailleurs telle qu’à l’heure actuelle, ce sont les femmes elles-mêmes qui sont stigmatisées et subissent la réprobation de la société lorsqu’elles sont victimes d’agressions sexuelles.

Quasi systématiquement accusées d’être responsables de ce qui leur est arrivé, les victimes de sévices sexuels subissent fréquemment le rejet social et économique de leur milieu d’origine. Une forte pression sociale qui entraîne un sentiment de honte chez les victimes et pousse la majorité d’entres elles à garder le silence. Quant à la minorité qui trouve le courage de dénoncer son agression et désire obtenir justice et réparation devant la police puis les tribunaux, elle est, elle aussi, confrontée à un tas d’obstacles notamment financiers et administratifs. La lenteur de la justice sierra-léonaise est également telle que la plupart de celles qui ont osé sortir de leur silence cèdent à la pression continuellement exercée et finissent par se contenter d’un arrangement à l’amiable tel qu’une simple compensation financière remise à la famille de la victime. Participant à la marginalisation des femmes sierra-léonaises, ces violences quotidiennes basées sur le genre s’accompagnent de nombreuses autres inégalités. Citons la pauvreté qui touche davantage les femmes , la non-gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes, le taux d’analphabétisme plus élevé parmi les femmes, le faible taux de scolarisation des filles par rapport à celui des garçons ou encore la disproportion du nombre de femmes participant à la vie politique et publique. Alarmantes, l’ensemble de ces discriminations basées sur le genre, et plus particulièrement la normalisation actuelle des violences sexuelles envers les femmes, doivent devenir l’une des priorités du nouveau gouvernement afin que soit enfin engagé un véritable processus de reconstruction post-conflit.

III – L’importance du rôle des femmes dans la reconstruction du pays

En Sierra Leone, l’environnement politique et les fonctions publiques ont traditionnellement été dominés par les hommes. Un système qui perdure puisque les femmes sierra-léonaises continuent d’être largement exclues des structures formelles de prises de décisions affectant l’ensemble du pays, notamment en cette période de post-conflit. Un conflit violent qui a pourtant particulièrement touchées les femmes, qui a également vu ces dernières joué un rôle important dans l’obtention d’un accord de paix  et qui, enfin, a encouragé nombreuses d’entre elles à s’intéresser davantage à la politique. Cependant, à l’issue des élections de 2002 puis 2007, qui avaient d’ailleurs enregistré un nombre de candidates relativement élevé, le Parlement ne comptait respectivement que 18 puis 16 femmes sur 124 sièges. Les chiffres étaient également faibles en ce qui concerne les élections locales et les postes de la fonction publique.

Les efforts entrepris durant le conflit par les femmes sierra-léonaises afin d’encourager sa résolution ont ainsi été largement ignorés et marginalisés dans le processus d’établissement de la paix et de reconstruction post-conflit. Depuis sa fin officielle, les compétences des femmes sierra-léonaises n’ont toujours pas été pleinement mises au service de la réalisation d’une paix durable, tandis que leurs expériences spécifiques lors du conflit n’ont toujours pas été réellement prises en compte lors de l’élaboration des projets de réconciliation et de reconstruction du pays. Les graves problèmes de violences sexuelles qu’elles ont subit durant la guerre civile, et qu’elles continuent de subir au jour le jour, n’ont ainsi pas encore été abordés avec l’attention qu’ils mériteraient et l’impunité généralisée qui prévaut actuellement à l’égard de leurs auteurs en est un exemple frappant. Or, aucun processus de paix ne peut véritablement s’achever en l’absence d’une réelle intégration des femmes qui représentent la moitié de la population sierra-léonaise.

Les prochaines élections présidentielles et législatives, prévues pour le 17 novembre 2012 et appuyées par une campagne importante en faveur des femmes , entraînaient avec elles l’espoir d’une représentation plus significative des femmes au sein du Parlement, parmi les postes ministériels et au sein des conseils locaux. Cet espoir s’est néanmoins effondré à la suite du recensement du faible nombre de femmes s’étant présentées pour les élections législatives (38 sur 586 candidats) et locales (337 sur 1283 candidats). Mais si le changement attendu ne sera ainsi pas impulsé par une représentation plus significative des femmes au sein des structures formelles de décisions, il n’en devient pas pour autant une illusion. Pourquoi ne pas profiter de ces prochaines élections pour intensifier la collaboration avec le nouveau gouvernement et les organisations internationales dans les domaines relatifs aux femmes, à la paix et la sécurité ? Se basant sur la Résolution 1325 du Conseil de Sécurité de l’ONU, adoptée en 2000, qui engage les Nations Unies et ses Etats membres à faire participer les femmes aux négociations et aux accords concernant le règlement des conflits et la consolidation de la paix, il faut continuer d’entreprendre un plaidoyer stratégique, continu et soutenu auprès des nouveaux décideurs, de la population civile et des organisations internationales afin de promouvoir, à tous les niveaux de pouvoir (national, régional et local), une pleine application de la Résolution 1325. C’est ici le rôle des associations de femmes et de la société civile, mais également des organisations internationales, de se concerter et de s’allier dans leurs actions en faveur des femmes comme actrices intégrantes de l’établissement de la paix pour que le pays entame enfin une réelle reconstruction post-conflit. Une reconstruction où les erreurs du passé ne sont pas refoulées, un pays ne pouvant se construire un avenir pacifique et durable que si les erreurs survenues ont correctement été prises en compte, tel que l’avait rappelé, en novembre 2011, Mme. M. Wallström , la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les violences sexuelles dans les conflits. Dix ans après la fin officielle du conflit, la question de la pleine intégration des femmes dans le processus d’établissement et de maintien de la paix au Sierra Leone devient urgente. Ce ne sont pas moins que les droits fondamentaux de milliers de femmes et l’avenir de tout un pays qui sont en jeu.

Une analyse de Natacha BILLEN

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